Article paru dans La Lettre du Musicien, n°499, octobre 2017, pp. 34-35
L’enseignement musical doit entrer à l’Université
Tribune : Donner aux diplômes français le même statut qu’à ceux délivrés par nos voisins européens, tel est le propos de Françoise Tillard qui milite, ici, pour une simplification et une plus grande ouverture du système.
En France, l’enseignement avancé de la musique dépend essentiellement du Ministère de la Culture et non du Ministère de l’Enseignement supérieur. Ceci freine les échanges entre étudiants et retarde la professionnalisation des jeunes diplômés.
LES CONSERVATOIRES ET LEURS DIPLÔMES
Une décision gouvernementale trancherait le nœud gordien. Il transférerait la gestion de l’enseignement musical supérieur du Ministère de la Culture au Ministère de l’Enseignement supérieur.
La réforme Landowski (1969) puis les lois de décentralisation (1983-1984) ont permis la création de conservatoires sur tout le territoire avec un succès qui a prouvé leur nécessité. Mais comme il dépend des collectivités territoriales, le diplôme final qu’ils délivrent ne peut dépasser le niveau du bac. C’est là que le bât blesse dramatiquement. Il n’existe en France que deux écoles de musique susceptibles de décerner un master de musique, les deux Conservatoires Nationaux Supérieurs de Paris et de Lyon, dépendant du Ministère de la Culture[1]. Il en existe trente en Allemagne, une dizaine en Suisse, et partout en Europe, en Amérique, en Asie… ces établissements décernent également des niveaux doctorats. C’est seulement en France que la musique n’a pas un accès raisonnable aux diplômes universitaires.
Le niveau des diplômes finaux des Conservatoires à Rayonnement Régional et des Conservatoires Municipaux parisiens est bien souvent exigeant et il faut du temps pour les obtenir. Ils pourraient facilement, étant donné l’âge des jeunes gens et leur maturité intellectuelle, être l’équivalent d’une licence ou plus, alors que plusieurs années après leur « vrai » bac, ils repassent un diplôme qui n’a pas davantage de valeur.
DES ACCORDS DE BOLOGNE AUX PÔLES SUP’
Le système LMD (trois années de licence, deux années de master et trois années de doctorat), décidé en 1998 par les accords de Bologne et qui prévaut dans l’enseignement supérieur européen n’a pas été appliqué dans l’enseignement musical français. Les Allemands, comme tous les Européens, ont sans douleur adapté leur système en renommant Universitäten für Musik leurs anciennes Hochschulen für Musik. Un étudiant français sorti à 22 ans d’une école territoriale ne sera accepté qu’en 1ère année de licence dans une université européenne.
Pour tenter de pallier ce manque de reconnaissance du diplôme final des écoles territoriales ou DEM (Diplôme d’Etudes Musicales), il a été créé des Pôles Supérieurs pour mener à la licence. Il peut s’y faire un excellent travail mais l’efficacité du système n’est pas prouvée : le DEM est toujours aussi difficile à obtenir et les Pôles Supérieurs n’ont bien souvent pas le financement à la hauteur de leurs ambitions. De plus, les étudiants en Pôle Supérieur, dont le diplôme final s’appelle DNSPM (Diplôme national supérieur professionnel du musicien) sont obligés de s’inscrire en Faculté de musicologie (qui n’enseigne pas la pratique musicale) pour avoir leur licence. Ils suivent en fait un double cursus, licence de musicologie et DNSPM. Ce dernier n’a en réalité pas de reconnaissance nationale ni internationale.
Il serait plus simple et moins coûteux de transformer le DEM en licence en étoffant le diplôme si nécessaire, comme proposé ici si l’on accorde aux diplômes musicaux une équivalence universitaire.
Au moment de devenir professeur, la situation se complique encore. Le Pôle supérieur prépare certes également au Diplôme d’État menant au professorat. Mais les écoles concernées étant territoriales, il faut passer en supplément un concours organisé par la Fonction Publique Territoriale, c’est à dire le Ministère de l’Intérieur. Que vient-il faire là-dedans ? Ce système étrange retarde de plusieurs années l’entrée des jeunes musiciens français dans la vie professionnelle.
VERS UNE SOLUTION… PAS SI COMPLIQUÉE
Que faire ? La proposition serait de laisser tous les participants actuels à leur place et d’évaluer leurs niveaux d’après le système LMD européen :
1. Le niveau supérieur des écoles territoriales deviendrait un premier cycle universitaire, le DEM serait transformé en licence.
2. Le concours d’entrée aux Conservatoires Nationaux Supérieurs correspondrait d’office au niveau licence. Au bout de deux ans, on y obtiendrait un master et la possibilité de sortir trois ans plus tard avec un Doctorat d’Art.
3. On donnerait aux formations adjacentes (Pôles Supérieurs, DUMI, etc.) le niveau licence ou master, selon les cas.
Il ne pourrait pas y avoir d’autres niveaux que ces trois mentionnés, comme partout dans le monde universitaire et dans toutes les matières (littérature, langues, sciences, droit…)
Dans la pratique, il devrait y avoir en France une quinzaine de centres habilités à délivrer des Masters.
Les professeurs de musique destinés à enseigner dans les écoles primaires et secondaires suivraient ce cursus. Dans le système actuel, sans département de musique à l’université, les étudiants apprennent la musicologie mais n’étudient pas la musique, si ce n’est dans les écoles de musique territoriales.
Inscrire la musique à l’université permettrait d’envoyer des enseignants de musique diplômés dans l’enseignement public de même que dans les centres d’animation. La musicologie resterait aux chercheurs.
Cette réforme va dans le sens de l’économie !
Elle va dans le sens de l’intégration européenne en donnant à nos diplômes le même statut que partout ailleurs.
Elle ouvre sur le monde : les étrangers ne viennent pas dans un pays qui ne propose pas un master de musique. Ils veulent un modèle de diplôme anglo-saxon, tel que défini par les accords de Bologne.
Elle permet à tous les jeunes musiciens français d’aller étudier ailleurs et de profiter des échanges Erasmus.
Elle fait profiter l’université de la qualité et de l’exigence des professions musicales.
Elle promet aux milieux les moins favorisés une fin d’études digne. Aucun enfant des classes moyennes et populaires, aujourd’hui, ne peut se permettre de s’embarquer dans des études aussi floues.
Françoise Tillard, musicienne
Professeur d’Enseignement musical à la Ville de Paris
Chargée de cours à l’Université Paris III-Sorbonne nouvelle (2002-2009)
[1] Il existe en bordure du système un master d’interprétation à Strasbourg et un master de musique ancienne à Poitiers.