– « Opérette de salon » nous dit le sous-titre de l’œuvre, ce qui nous donne envie que cela se passe dans un salon. Ce salon sera à la fois le lieu du théâtre ( où seront assis les spectateurs ) et l’espace scénique (le salon du père de Cendrillon). Cela signifie qu’un certain nombre de spectateurs sera installé sur le « plateau », dans des fauteuils, et que le spectacle se jouera en partie au milieu d’eux. Le piano sera d’une certaine manière un élément du décor (comme dans les bonnes familles, où un salon ne peut se concevoir sans piano). Ainsi la séparation salle / fosse / scène, si habituelle à l’opéra, n’existera plus.
– Notre Cendrillon est la fille d’un ancien épicier qui a réussi une ascension sociale dont nous ne connaîtrons jamais les détails. Il est permis de penser ( il y a des allusions en ce sens ) que cela ne s’est pas fait de façon honnête. C’est peut-être pour cette raison que Cendrillon se trouve un peu écartée de la fortune actuelle du baron, comme si elle était la trace visible de son passé. Nous allons la relier clairement à ce passé : elle vivra au milieu des débris de l’épicerie de son père : vieux tonneaux, anciennes caisses… Ce qui est étrange dans l’œuvre, c’est que de temps en temps, le baron semble pris de nostalgie. Il ira peut-être fouiller dans ces souvenirs, sortir un tiroir-caisse…
– Interdite de bal, Cendrillon s’endort. Puis, entend la voix de la fée. Ne pourrait-il pas s’agir d’un rêve ? La fée opère tous ses tours de magie en jetant les objets à travers une fenêtre. Dans l’esprit de Pauline Viardot, il s’agissait certainement d’un subterfuge pour faciliter la mise en scène. Nous y voyons aussi un côté « Alice de l’autre côté du miroir », l’entrée dans un autre monde. Et de quoi est fait cet autre monde ? Il est construit à partir de l’imagination d’une enfant pauvre. Ce sont les éléments mêmes de sa vie quotidienne : débris, détritus – tout ce qui se jette habituellement. Mais le rêve de Cendrillon les transforme. Comme dans les pays du tiers monde où tout ressert, ici tout trouve aussi une utilisation inattendue, poétique. Cendrillon aurait la force de transformer le sordide en merveilleux. (de vieilles bouteilles en plastique par exemple deviendraient un lustre) C’est ainsi qu’elle imagine le salon du prince. Les dames du bal ne peuvent donc que ressembler à ses sœurs, et éventuellement à des formes schématiques (des paniers de robes tiendraient lieu de foule.
– Tout n’était peut-être qu’un rêve. Le lendemain cependant on vient essayer un soulier et ce soulier faisait partie du rêve. Le rêve était-il vrai ? L’imagination est-elle plus forte que le réel et réussit-elle à le transformer ? La réponse est oui, puisqu’il s’agit précisément d’un conte de fée.
– Nous n’avons pas l’intention de « tricher » avec le conte. Il ne s’agit pas de le moderniser ni de l’actualiser. C’est bien l’histoire de Cendrillon, beaucoup plus sûrement même que chez Rossini (qui s’est permis de faire disparaître le soulier !) Nous essayerons plutôt d’y apporter un nouvel éclairage. Le fantastique existe toujours, sous d’autres formes peut-être, et nous avons envie de raconter ce conte aux petits comme aux grands.
Ruth Orthman